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Pourquoi et comment préserver la souveraineté numérique européenne ?

Pourquoi et comment préserver la souveraineté numérique européenne ?

Par Jennifer Montérémal

Mis à jour le 20 décembre 2022, publié initialement le 16 novembre 2020

L’Europe… colonie numérique des États-Unis ?

Si cette expression revient souvent, c’est parce que la situation en matière de souveraineté numérique européenne pose de plus en plus problème. Et pour cause l’année 2020 a marqué un tournant, en particulier lorsque le confinement a révélé plus que jamais notre dépendance au digital… et donc aux solutions numériques étrangères.

Qu’en est-il réellement ? Quels moyens devons-nous déployer pour préserver notre souveraineté numérique ?

Jean-Noël de Galzain est président d’HEXATRUST, regroupement d’une soixantaine de spécialistes en solutions de cybersécurité et cloud de confiance. Il revient aujourd’hui sur la question de la souveraineté numérique en Europe, au travers de ses enjeux, mais aussi des pistes d’amélioration possibles.

Quels sont les problématiques et enjeux liés à la souveraineté numérique en Europe ?

Jean-Noël de Galzain :

Nous vivons dans une société qui change, puisque le numérique est en train de prendre une place de plus en plus importante dans nos vies et dans nos usages du quotidien. Nous l’avons d’ailleurs constaté avec la pandémie de la Covid-19, qui a accéléré le phénomène par le biais du télétravail et de l’interconnexion domicile/bureau.

Cependant, le modèle économique qui a émergé du développement du numérique reste lié à la puissance des GAFAM. Dans ce modèle les données que nous produisons, dont nos données sensibles, deviennent les leurs.

Pourtant, dans ce monde où une partie de notre existence se déroule sur internet, il semble important de pouvoir garder le contrôle de notre vie numérique, et de préserver notre modèle économique et de société, notre culture, notre démocratie, notre liberté d’expression… bref, tout ce que notre histoire a construit.

Pour ce faire il faut se doter d’une identité numérique forte, mais également contrôler nos accès et nos données.

Cette question des données est-elle essentielle ?

Jean-Noël de Galzain :

Toutes les données que nous produisons sont «l’or noir» d’aujourd’hui. Nous européens, qui sommes par exemple très bien positionnés dans les secteurs de la santé ou de l’industrie, avons l’opportunité de créer une industrie du numérique et de la confiance. Nous avons l’opportunité de devenir un leader international de ce nouvel âge du numérique.

Exfiltrer toutes les données personnelles aux États-Unis ou en Chine, et être dépendants de solutions dont nous n’avons pas les clés n’est pas une fatalité. La France, par exemple, est une terre de cybersécurité. Elle compte un certain nombre d’acteurs performants dans le domaine, avec pour différenciation la pleine conscience de l’importance de la protection des données.

Comment une coopération européenne permettra de préserver, voire de reconquérir notre souveraineté face aux géants du numérique ?

Jean-Noël de Galzain :

Il existe une coopération des états, servant notamment à la mise en place de réglementations.

Elle a, par exemple, permis la création du RGPD (Règlement Général de Protection des Données), activé en 2018. Cette réglementation demande aux entreprises traitant de la donnée en Europe de la protéger et d’offrir plus de libre arbitre à l’utilisateur.

La coopération des états a également conduit la même année à la directive NIS, dans le but de demander à toutes les grandes entreprises évoluant en Europe la mise à niveau de leurs infrastructures critiques.

Enfin, 2020 est une année à retenir, car le Privacy Shield, qui permettait aux entreprises américaines de capter et rapatrier en masse des données européennes, a été invalidé.

Nous voyons bien que le grand enjeu européen d’aujourd’hui est donc la donnée, en particulier son traitement et son hébergement en Europe. C’est pourquoi nous devons nous fédérer autour de cette question, au bénéfice des utilisateurs, des organisations et des entreprises, mais aussi au bénéfice d’une industrie européenne de la cybersécurité et du cloud.

Autour de quels autres grands axes doit s’articuler la politique européenne en matière de souveraineté numérique ?

Jean-Noël de Galzain :

Nous l’avons vu c’est le politique, la réglementation qui amène à faire bouger les lignes en matière de souveraineté numérique.

Ajoutons à cela qu’une agence a été créée, l’ENISA. L'un de ses objectifs est la mise en place d’actions visant à certifier des offres de confiance dans les pays européens, et ce dans tous les différents domaines de la technologie numérique (infrastructures, logiciels, réseaux, etc.).

En parallèle nous avons vu apparaître des initiatives afin que les fonds investissent dans des projets collaboratifs de numérisation, dans lesquels la cybersécurité ou encore l’intelligence artificielle ont été identifiées comme des axes clés. Le but de telles initiatives est l'émergence de nouvelles solutions et de nouveaux standards au niveau européen.

Enfin, dans cette période de pandémie mettant en lumière l’importance des nouvelles technologies, les différents gouvernements élaborent des plans de relance dans lesquels le numérique occupe une place de taille. HEXATRUST va notamment participer à la rédaction d’une feuille de route pour la création d’un plan de relance. Celui-ci aura vocation à apporter des solutions de cybersécurité au niveau français, à davantage exporter nos solutions dans le monde entier, mais aussi à collaborer avec des acteurs européens dans l’industrie de la santé notamment. L’idée est de créer des «GAIA-X de la cybersécurité» au niveau de l’Europe.

En parlant de GAIA-X, quelles sont actuellement les grandes actions prévues en Europe ?

Jean-Noël de Galzain

GAIA-X est le gros projet actuel à l’échelle de l’Europe. Le territoire européen est un acteur jeune, plein d’énergie et de potentiel sur tous les aspects du numérique et de la confiance. Mais en parallèle, il se révèle un acteur en pleine hémorragie : l’hémorragie des données. Toutes les organisations, qu’elles soient étatiques ou privées, sont en train de déverser des quantités de données sans aucun contrôle, notamment vers les États-Unis. Cette réalité engendre des polémiques et des problématiques : à chaque fois qu’on achète sur internet, on achète à une entreprise dont on ne maîtrise ni la fiscalité ni le fonctionnement.

Pallier ce problème implique que nos données, et donc nos identités, répondent à nos règles. À partir de là, l’urgence réside dans le cloud. Mais gardons à l’esprit que la couche de cybersécurité est la clé qui permettra de faire du cloud un cloud de confiance. Si nous maîtrisons la partie sécurité, si nous chiffrons nos données, si nous identifions les utilisateurs, nous reprenons le contrôle sur nos données. Par conséquent le projet GAIA-X fédère des acteurs du cloud, mais aussi des acteurs de l’industrie logicielle et des acteurs de la cybersécurité. C’est tous ensemble que nous construirons ce fameux numérique de confiance.

Autre projet important : HEXATRUST travaille à la création d’un label, d’un catalogue européen des solutions de confiance. L’idée de ce projet est de montrer aux utilisateurs l’ensemble des solutions accessibles dans chaque domaine au niveau de l’Europe. En effet, il existe beaucoup d’offres, et il est parfois difficile de s’y retrouver. L’idée est donc de faciliter l’accès à cette information.

Les utilisateurs ont donc un rôle à jouer dans la souveraineté numérique européenne ?

Jean-Noël de Galzain :

Ce qui reste, à mon sens, l’enjeu clé dans le développement de cette souveraineté numérique européenne, d’une culture numérique européenne, c’est le geste de l’utilisateur.

Lorsque les gens s’équipent, ils doivent garder à l’esprit le fait que leurs données revêtent une importance vitale. Il faut que cette prise de conscience conduise les utilisateurs à veiller davantage à qui ils les confient, et à qui ils achètent. Par ces gestes là nous nous dirigerons vers une économie, non pas subventionnée et régie par la réglementation, mais plaçant nos innovations au service des utilisateurs.

Ceci passe par des actions de sensibilisation des utilisateurs, et par l’émergence d’un numérique pour tous, d’un numérique de confiance. Au sein d’HEXATRUST, par exemple, nous travaillons avec l’Éducation Nationale afin de développer la compréhension du risque numérique à l’école. Nous voulons également partager une idée importante : nous avons la chance de nous trouver, en quelques sortes, dans un nouveau far-west, une nouvelle terre d'Adélie. En effet, le numérique s’avère un domaine dans lequel nous pouvons encore créer, inventer. Énormément d'opportunités d’emploi et de nouveaux métiers se créent dans le secteur.

La société a changé et nombre de métiers actuels vont disparaître. Mais beaucoup de métiers nouveaux vont se créer à l’avenir… et ils méritent de se faire connaître du plus grand nombre.

Jean-Noël de Galzain est le PDG et fondateur de WALLIX, éditeur de solutions de cybersécurité des accès et des identités numériques pour les entreprises, leader européen de la gestion des comptes à privilèges (PAM) coté sur Euronext/Alternext depuis juin 2015 (ALLIX).

Très impliqué dans l’écosystème de la cybersécurité et du numérique, Jean-Noël de Galzain est également Président d’HEXATRUST, qui regroupe les champions européens de la cybersécurité et du cloud de confiance. Enfin, il est également Président du projet «Cybersécurité & Sécurité de l’IoT» du Comité Stratégique de Filière «Industries de sécurité».

Article invité. Les contributeurs experts sont des auteurs indépendants de la rédaction d’Appvizer. Leurs propos et positions leur sont personnels.

Jennifer Montérémal

Jennifer Montérémal, Editorial Manager, Appvizer

Actuellement Editorial Manager, Jennifer Montérémal a rejoint la team Appvizer en 2019. Depuis, elle met au service de l’entreprise son expertise en rédaction web, en copywriting ainsi qu’en optimisation SEO, avec en ligne de mire la satisfaction de ses lecteurs 😀 !

Médiéviste de formation, Jennifer a quelque peu délaissé les châteaux forts et autres manuscrits pour se découvrir une passion pour le marketing de contenu. Elle a retiré de ses études les compétences attendues d’une bonne copywriter : compréhension et analyse du sujet, restitution de l’information, avec une vraie maîtrise de la plume (sans systématiquement recourir à une certaine IA 🤫).

Une anecdote sur Jennifer ? Elle s’est distinguée chez Appvizer par ses aptitudes en karaoké et sa connaissance sans limites des nanars musicaux 🎤.