Souveraineté Numérique : quelle stratégie pour une France en retard sur le financement des technologies ?
L’expression «souveraineté numérique» semble finalement moins employée pour désigner la capacité des États à agir dans le cyberespace que pour exprimer leur difficulté à assumer leurs fonctions traditionnelles face à des acteurs transnationaux puissants et dotés d’une avance technologique indiscutable.
Après la prise de conscience collective et les discours politiques quant à notre vulnérabilité en matière de souveraineté numérique, il est temps de passer vraiment à l’action pour faire émerger les licornes françaises et européennes de demain !
Telle est la vision que souhaite nous partager aujourd’hui Fabien Ducoudray, responsable des opérations chez Assemblée, le logiciel de visioconférence sécurisée Made in France.
Quel état des lieux dresseriez-vous sur la souveraineté numérique française et européenne ?
Fabien Ducoudray :
Pour expliquer ce qu’est la souveraineté numérique, reprenons les mots de Madame Pauline Türk dans le rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la souveraineté numérique en 2019 : «La souveraineté en droit, historiquement, c'est l'indépendance des États, le pouvoir de commandement suprême sur un territoire et une population. Or on constate que les sociétés humaines et les États qui les organisent sont dans une situation de dépendance croissante vis-à-vis des technologies du numérique et des entreprises américaines qui les contrôlent.»
L’état des lieux est aujourd’hui assez simple. Malgré de beaux discours pleins d'entrain, la souveraineté numérique française n’est aujourd’hui que débat ou commission d’enquête. Nos sociétés deviennent dépendantes de la technologie et des entreprises qui les contrôlent (réseaux et plateformes, télécommunications, information, santé, commerce, justice, sécurité, armée, etc.), une tendance qui s’accentue très rapidement à l’heure de la COVID-19 et de l’accélération brutale de la digitalisation des entreprises.
La maîtrise des données numériques générées par les activités de 4,5 milliards d’utilisateurs connectés, ajoutée à une situation de quasi-monopole de certaines entreprises américaines, russes et chinoises, confère à ces opérateurs un pouvoir qui bouleverse les modes de gouvernement. Dans notre secteur d’activité, rappelons-nous le très récent scandale autour de l’entreprise Zoom (Zoom bombing, revente des données à Facebook, serveur en Chine par exemple) qui a fait éclater au grand jour des dérives inimaginables auparavant, et a engendré beaucoup de questionnements sur l’espionnage industriel, la confidentialité de certaines réunions gouvernementales, etc.
Avez-vous des exemples pour illustrer ce constat ?
Fabien Ducoudray :
Nous pouvons citer l'exemple de la fondatrice et rédactrice en chef du site The Information, Jessica Lessin. Elle a partagé sur Twitter le récit de son appel vidéo interrompu par un individu qui a partagé du contenu pornographique.
Des milliers d’exemples sont disponibles sur internet et certains font froid dans le dos. Malheureusement, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres sur des technologies où la France accuse un retard considérable.
Rappelons d'ailleurs le tweet de Laure de la Raudière : «Face à certaines failles de sécurité de l’outil de visioconférence Zoom, j’ai interpellé les Questeurs de l’Assemblée nationale pour que notre institution utilise un autre outil». Elle appuie ensuite sur le besoin de développer des solutions françaises, voire européennes, tant le désespoir de voir émerger des mastodontes français est omniprésent.
À travers ce simple exemple concernant les outils de visioconférence, nous mettons le doigt sur un problème beaucoup plus important qui touche toutes les technologies et le retard que nous accusons dans tous les domaines.
Pourtant la France fait partie des meilleurs pays formateurs dans un tas de domaines très avancés et dans lesquels nous sommes reconnus, mais nous sommes dans l’incapacité de garder cela en interne.
Quelles sont, selon vous, les grandes actions à entreprendre pour contrer cette perte de souveraineté numérique ?
Fabien Ducoudray :
Comprendre, accompagner, financer, promouvoir, stopper la fuite des cerveaux et arrêter de vouloir réguler à tout va des technologies émergentes.
Un vieux dicton dit que : «Les États-Unis inventent, la Chine copie et la France régule.»
Même si celui-ci prête à sourire, il reflète une bien triste réalité derrière. Prenons un exemple concret : revenons fin 2017, période marquant les «débuts» de la fameuse «souveraineté numérique» qui devient un terme presque à la mode. Nous créons notre première entreprise dans l’intelligence artificielle et la blockchain, deux secteurs de pointe pleins de possibilités et qui font aujourd’hui des points clés de la souveraineté numérique. Mais bien malheureux est celui qui souhaite se lancer dans une telle aventure à cette époque, car nous avons connu la traversée du désert. Comptes bloqués par différentes banques (société et personnel), levée de fonds séquestrée, statut JEI (Jeune Entreprise Innovante) refusé pour le motif que «la blockchain n’est en rien une innovation»... et je passe les autres problèmes, car je pourrais écrire un livre. Beaucoup de nos confrères à cette époque ont préféré des pays plus innovants comme l’Estonie, la Suisse, les USA et j’en passe pour développer cette activité. Et autant dire que cela a payé. Aux premiers balbutiements d’une nouvelle technologie, des pays ont décidé d’attirer les cerveaux et les licornes avec des impositions abaissées, des avantages considérables et surtout des chèques conséquents, pendant que nous cherchions la meilleure manière de réguler dans notre belle contrée.
Comme l’évoque très bien Mr Henri Verdier, ambassadeur du numérique : «Dans ce domaine, un chiffre est extrêmement frappant : en 2018, 86 % des investissements en capital-risque dédiés à l'intelligence artificielle ont été faits en Chine ou aux États-Unis, et plus encore dans le premier pays que dans le second. Nous sommes face à un embryon de nouvelle guerre froide, dans un contexte marqué par un choc technologique radical.»
Si l’on souhaite commencer à contrer cette perte de souveraineté, il faut revoir la façon de financer les entreprises en France et principalement les startups qui sont parfois source de très belles avancées et de futures licornes.
Même si l’on entend crier partout que nous n’avons jamais autant financé les startups ces dernières années, le gouffre reste gigantesque et les manières de financer sont encore trop éloignées des standards américains par exemple. Quand on finance 100 000 € chez nous, notre concurrent américain va lever dix fois plus avec moins de contraintes.
Parlons maintenant de l’accompagnement et du travail formidable que font par exemple France Digitale ou La French Tech, mais qui reste insuffisant de nos jours. Nous avons encore vu il y a quelques jours un appel de France Digitale envers le gouvernement pour l’utilisation et la promotion de solutions françaises dans différents domaines. De plus en plus d’initiatives voient le jour et c’est, pour nous, une réelle valeur ajoutée dans la façon dont nous travaillons au quotidien.
Malgré ça, il manque aujourd’hui un organe central afin d'organiser, de centraliser, de trier, d’essayer des solutions françaises qui permettront de revenir petit à petit dans une souveraineté numérique forte. De plus, le numérique n’a aujourd’hui aucune possibilité de parole «forte», c’est-à-dire un vrai ministère ou des acteurs qui ont un réel pouvoir au-delà des beaux discours.
Les politiques de souveraineté numérique déployées vous semblent-elles suffisantes ?
Fabien Ducoudray :
Malheureusement non. Nous pouvons le constater au quotidien à travers nos différentes expériences et celles des sociétés qui nous entourent.
Même s’il est difficile de contrer la planche à billets américaine, beaucoup d’actions peuvent être mises en place pour accompagner nos startups et autres sociétés vers de nouveaux horizons.
Comment des régions, des États ou même des pays entiers sont capables de voter des lois, des impositions ou ce genre de chose en trois semaines quand dans notre pays, trois ans après l’explosion de certaines technologies, la régulation et l’imposition sont encore totalement floues ?
Nous ne pouvons nous mettre à la place de nos ministres et autres régulateurs, mais nous pouvons faire un constat alarmant sur l’agilité de notre état et les conséquences notables que cela peut avoir sur notre attractivité, notre innovation, etc.
Nous sommes aujourd’hui fin 2020, nous traversons notre deuxième vague de confinement et nous constatons encore aujourd’hui que bien des entreprises sont en retard sur le numérique tout court.
Anecdote rigolote, j’ai eu une fois une dame du «gouvernement» au téléphone de notre support d’entreprise qui ne comprenait pas pourquoi elle n’arrivait pas à rejoindre d’autres élus en visioconférence. Malheureusement elle s'était simplement trompée de plateforme et devait rejoindre une réunion Zoom alors qu’elle pensait que c’était chez nous, sur Assemblée. Après l’avoir accompagnée dans sa réunion, je me suis rendu compte du gouffre technologique dans lequel nous sommes aujourd’hui. Ce sont aujourd’hui ces personnes-là qui sont les plus vulnérables aux décisions, et surtout aux actions que nous mettrons en place pour reprendre notre souveraineté numérique telle que nous devrions déjà la posséder... ou ne jamais l’avoir perdue ?
Pour finir, quel est votre point de vue d'expert sur la question de la souveraineté numérique en général ?
Fabien Ducoudray :
Je trouve que cette phrase d’Eric Schmidt et Jared Cohen résume bien mon point de vue : «Internet est l’une des rares créations de l’homme qu’il ne comprend pas tout à fait (…). C’est la plus grande expérience d’anarchie de l’histoire (…), à la fois source de bienfaits considérables et de maux potentiellement terrifiants, dont nous ne commençons qu’à peine à mesurer les effets sur le théâtre mondial.».
Je ne me prétends pas expert sur la question de la souveraineté numérique, mais j’ai eu la chance de voir émerger ces technologies et de les appréhender plus ou moins aux «bons moments». J’ai surtout eu l’occasion de lancer une startup comprenant une technologie de rupture qui s’est avérée être en «avance» sur notre temps et sur les enjeux de la souveraineté numérique qui doit, semble-t-il, être régulée d’abord.
C’est à partir de ce moment que j’ai compris que pour combler notre retard, nous devions collaborer tous ensemble pour tirer chaque partie prenante vers le haut.
Gouvernement, lois, imposition, financeur… sont les premiers à pouvoir aider et relancer un pays qui n’est pas en reste d’innovation, car de l’autre côté, cerveaux et startups sont dans les starting-blocks pour prouver à la planète entière que nous pouvons être imbattables sur beaucoup de sujets.
Lueur d’espoir, nous voyons émerger de grandes thématiques que l’État souhaite financer. Par exemple, fin 2019, la Commission Européenne et le Fond Européen d’Investissement annoncent un fond de 2 milliards d’euros en 2021 pour investir dans les technologies fondamentales au milieu des craintes que les États-Unis et la Chine nourrissent en allant vers certains domaines tels que l’IA.
Ce que je peux surtout remarquer aujourd’hui, c’est une prise de conscience de la population sur ces différentes technologies et sur les impacts qu’elles peuvent avoir dans leur vie quotidienne.
Nous avons l’occasion de voir de plus en plus d’entreprises et d’individus qui souhaitent «consommer» français et qui souhaitent surtout s’assurer de la sécurité et de l’hébergement français de leurs données. La souveraineté numérique passera peut-être par cette prise de conscience de l’ensemble de la population et par une émergence de la volonté du peuple à recourir à des actions fortes pour reconquérir une souveraineté numérique forte. Seul on avance vite, à plusieurs on avance plus loin…
Je pense qu’il est donc plus que temps de créer un «super état» du numérique. Une Task Force, comme diraient les Américains, qui mène le lead sur toutes les technologies et toutes les problématiques qui entrent dans la souveraineté numérique afin de faire émerger des champions français, mais surtout faciliter grandement l’innovation à travers des programmes d’ampleur.
Fabien Ducoudray est l’un des cofondateurs et COO d’Assemblée. io, un service sécurisé de visioconférence pour professionnels, développé et hébergé en France. Cette solution permet d’effectuer toutes vos vidéoconférences sans logiciel, jusqu'à 100 participants, en haute définition.
Après 2 entreprises dans les technologies Blockchain et IA, Fabien s’est donc lancé un nouveau défi en essayant de prendre le contre-pied des mastodontes comme Zoom ou Teams, en proposant un service de visioconférence Made in France.
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Une anecdote sur Jennifer ? Elle s’est distinguée chez Appvizer par ses aptitudes en karaoké et sa connaissance sans limites des nanars musicaux 🎤.