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Datalab : les petits labos qui font émerger de grands projets

Datalab : les petits labos qui font émerger de grands projets

Par Laurent Hercé

Mis à jour le 27 novembre 2020, publié initialement en 16 mars 2020

Les données sont le nouvel Eldorado de l’entreprise. C’est un phénomène dont chacun a désormais pris conscience, depuis les GAFAM et les réseaux sociaux, jusqu’à la PME. Elles peuvent être une source d’innovations, de revenus, d’amélioration des produits et des services.

D’où l’émergence ces dernières années, au sein des organisations, de structures dédiées à leur exploitation. Plus ou moins avancées, elles se sont progressivement intégrées à l’organigramme existant. Plusieurs peuvent coexister en parallèle, de même que les technologies exploitant ces données.

Comment faire travailler plus efficacement, ensemble, les ressources humaines et les infrastructures sur ce thème central de la Data ? Comment innover, mettre en place de nouvelles applications, et ceci le plus rapidement possible ?

C’est l’objet d’un laboratoire transversal dédié à la donnée : le Datalab. Nous vous expliquons ce que recouvre un projet de ce type, comment le mener à bien, et quelles sont les entreprises qui en tirent parti.

Un Datalab, qu’est-ce que c’est ?

Les « labs » (pour ne pas dire laboratoires), sont à la mode. Dans un monde où l’agilité est devenue prépondérante, ils apportent de la souplesse et de la réactivité aux organisations. Et cela sans nécessiter de remanier la hiérarchie ou l’organigramme.

Leur objectif est de favoriser l’innovation, en permettant l’expérimentation.

On peut définir un lab comme « une structure qui favorise l’émergence d’idées disruptives, en isolant des projets incertains pour les porter sans perturber l’organisation existante » (Olivier Laborde).

Ce concept de laboratoire se décline sous différentes formes. Il est tout naturel qu’il ait été transposé dans le domaine de l’exploitation des données.

Aujourd’hui, une entreprise peut compter de multiples professionnels de la Data. Citons de façon non exhaustive le Chief Data Officer (CDO), les Data Scientist et Chief Data Scientist, le Data Analyst, l’Architecte et l’Ingénieur Big Data, le Master Data Manager, le Business Intelligence Manager, le Data Miner, le Data Protection Officer, l’ingénieur Machine Learning…

Cette énumération cerne immédiatement la problématique. Toutes ces fonctions ne sont pas rattachées à un même service, elles n’ont pas forcément le même objectif ni la même culture. Elles n’utilisent pas les mêmes outils logiciels. Elles ne sont pas en contact permanent.

Qui plus est, d’autres fonctions génèrent, manient, exploitent ou bénéficient des données. Celles qui dépendent du Marketing par exemple.

Comment réunir toutes ses compétences, et croiser leurs expertises, dans une structure agile et efficiente autour de la Data ? En créant un Datalab.

La création d’un Datalab est aussi l’occasion d’intégrer de nouvelles compétences et talents. Certains projets intègrent d’entrée un pourcentage important de nouvelles recrues.

Le Datalab aura l’avantage de fonctionner comme une startup, ou un incubateur, au sein même de l’organisation. Il ne se substitue pas à l’existant, il a pour but de le valoriser dans un contexte différent.

Définir une stratégie préalable

Même si l’idée de départ est d’encourager la souplesse et la créativité, la mise en place d’un Datalab gagnera à se faire avec certains prérequis.

Stratégiquement, on définira si possible des objectifs prioritaires. C’est d’abord la tâche du management. Même si le Datalab a pour but de favoriser l’ébullition intellectuelle et l’émergence de projets créatifs, il est possible d’orienter ses efforts. Mieux vaut spécifier d’entrée si votre objectif est la diversification de votre activité, l’amélioration du service client, la collecte de nouvelles données, etc.

Pour autant, un maximum de liberté peut aussi générer plus d’engagement et d’innovations disruptives.

Techniquement, vous aurez probablement à composer avec la complexité inhérente au Data Management et au Big Data. Dans une entreprise d’envergure, il peut exister, pour des raisons historiques, géographiques, techniques, de multiples « silos » indépendants traitant des données. Les technologies de recueil, stockage, traitement, exploitation peuvent donc être aussi multiples, redondantes, et nécessiter des adaptations.

L’un des intérêts d’un Datalab est d’inciter à une harmonisation technique éventuelle, et peut-être préalable. Le Datalab peut conduire à la création d’un Data Lake, s’il n’est pas présent. De plus, la qualité et la validation des données étant primordiales, cela peut être l’occasion de vérifier ces prérequis.

Juridiquement, un travail de fond est aussi nécessaire. Mais il l’est toujours lorsque l’on veut exploiter des données à grande échelle. La provenance hétérogène des données signifie qu’elles n’ont pas été recueillies dans les mêmes contextes, avec les mêmes objectifs, et donc pas forcément avec les mêmes contraintes juridiques initiales. C’est une difficulté classique, à ne pas sous-estimer d’entrée.

Ne pas négliger les ressources humaines

Au-delà de ces trois piliers à prendre en compte, il subsiste une autre difficulté. Elle est inhérente à la mise en place d’une structure transversale : c’est le facteur humain.

Vous allez soudainement réunir, au sein d’une entité parfois informelle, des collaborateurs qui ont un point commun : la Data. Mais qui peuvent être radicalement différents par ailleurs. Rien ne les prédestine à former d’entrée une joyeuse bande de copains unie autour d’un objectif commun.

Il se peut que vous fassiez cohabiter au sein du Datalab des profils aussi différents qu’un Marketeur, un Ingénieur Data, un Commercial et un codeur spécialisé dans le Machine Learning. C’est même le principe du laboratoire.

Il peut donc être judicieux de prévoir un travail préalable, ou un suivi, avec un consultant spécialisé dans la gestion du changement.

D’autant qu’il peut exister des résistances à ce changement assez logiques. Un collaborateur peut être plus enclin à garder pour lui ses idées, ses compétences et ses « inputs », pour les valoriser au sein de son propre département. Il faut donc veiller à ce que les résultats du Datalab soient valorisants pour tous.

Un détail, mais pas seulement : les locaux

Vous le découvrirez dans les exemples qui suivent : la plupart des entreprises qui mettent en place un Datalab (et probablement d’autre type de laboratoires) le font dans des locaux spécifiques1.

Plusieurs raisons à cela :

  • Il est important que les locaux reflètent la liberté de la structure. Donc espaces ouverts, lumineux, modulables, ludiques, avec un minimum de contraintes.
  • Il peut être important que ces locaux soient un gage de transversalité. Donc qu’ils ne soient pas rattachés physiquement à un service ou département (qui alors prendrait l’ascendant sur les autres).
  • Dans l’idéal, le lieu choisi peut être totalement nouveau, conçu pour ce projet, même si cela n’est évidemment pas à la portée de toute entreprise.

S’inspirer des réussites : 3 exemples de Datalabs

Selon les Échos, les deux tiers des entreprises du CAC 40 seraient déjà équipés d’un Datalab. Il est donc simple et utile de s’y intéresser, pour copier leur modèle ou éviter de reproduire les mêmes erreurs.

Voici quelques retours d’expérience dans des secteurs d’activité divers.

Axa : un assureur au cœur de la donnée

La Data Innovation Lab d’Axa2 a été imaginé autour d’une équipe de R&D de… 4 personnes. Lancé avec 15 collaborateurs, il en compte aujourd’hui plus de 70, auxquels il faut ajouter une trentaine de participants externes ou ponctuels.

Créé en 2014, ce Lab avait notamment pour objectif la création de contrats d’assurance auto dont le prix changerait selon le comportement du conducteur. Il s’est fixé 5 objectifs de recherche : fraude, gestion des sinistres, analyse des comportements de conduite pour réduire la prime des conducteurs vertueux, santé connectée, marketing.

Axa a signé en 2014, lors du lancement, un contrat avec Facebook. Ainsi, l’assureur ne gère plus seulement ses propres flux de données, mais également les données externes avec Open Data.

Les projets issus de ce laboratoire sont considérés par Axa comme des « satellites agiles », des plateformes indépendantes de l’IT au départ. Par la suite, s’ils sont pérennes et font la preuve de leur ROI, ils pourront être intégrés à l’existant.

Le projet de Datalab d’AXA est très significatif, car il intègre dès le départ une dimension « création de nouveaux talents ». En effet, l’assureur a débloqué une enveloppe de 180 millions d’euros, destinée à former de futurs collaborateurs. Cette volonté s’est traduite par l’ouverture d’une chaire « Stratégie digitale et Big Data » à HEC Paris et d’un autre cursus « Data Science for Insurance Sector » à Polytechniques.

Enfin, pour aller jusqu’au bout de sa démarche innovante, la création du Datalab s’est doublée de la création d’un incubateur. Celui-ci s’appuie sur le fonds d’investissement AXA Strategic Ventures (ASV) pour soutenir des projets porteurs.

Un engagement total dans la transition numérique donc. L’assureur est ainsi en capacité de faire émerger de nouveaux projets, de leur donner une réalité, et d’intégrer des collaborateurs formés pour ces tâches. Un must.

La SNCF, une Data Company qui s’ignorait

Auriez-vous cité la SNCF spontanément comme exemple de Datalab ? Probablement pas, et pourtant cette création est parfaitement justifiée.

C’est le 29 août 2018 que les dirigeants des différentes entités du groupe SNCF ont présenté la nouvelle étape de la stratégie numérique : construire l’entreprise de demain grâce à la donnée3.

En effet, la compagnie historique regorge de données. Encore faut-il en prendre conscience et les exploiter. Le patrimoine « data » ce sont d’abord les données historiques comme les horaires, les données des interventions sur 15 000 trains, les 30 000 kilomètres de voies, les 3 000 gares.

Mais ce sont aussi depuis peu les données que les clients lui confient à travers les services proposés en gare, et l’expérience à bord (connectivité 3G/4G, Wifi…). L’objectif : mettre toutes ces données au service des décisions, du pilotage de l’entreprise, de la performance, et de la sécurité.

Ceci a conduit à la création d’un Datalab. Ici, il s’agit moins d’innover que de permettre un accès de tous à la donnée. Le laboratoire est un vecteur de partage des données. Potentiellement, tout agent peut se connecter au DataLab et accéder aux jeux de données, les « datasets ». La création de valeur éventuelle proviendra de la manipulation par les agents.

Le laboratoire est opérationnel depuis 2018. Il disposait en 2019 de 350 datasets référencés.

A noter qu’il existait déjà, depuis 2010, des Minilabs développés avec l’École des Mines Paristech. Certains de ces Minilabs sont aussi dédiés à l’usage de la Data. L’un d’entre eux vise ainsi à anticiper l’impact du changement climatique sur les réseaux ferrés4.

La BNP : miser sur l’Intelligence Artificielle pour innover

Au-delà d’un usage 100 % dédié à la donnée, le Datalab peut aussi être un accélérateur pour l’Intelligence Artificielle. Et notamment pour le développement de projets de Machine Learning.

C’est la voie qu’a choisie la BNP. Elle a mis en place le « Lab Data Science & Intelligence Artificielle ». Dans le contexte particulier du marché bancaire, c’est l’impératif de confidentialité qui a conduit le groupe à internaliser cette structure. Ainsi, la recherche, la manipulation des données, la création de nouvelles applications peuvent se faire en toute sécurité.

Parmi les projets que ce laboratoire a fait naitre, on trouve une étonnante application de traduction, nommée « Translate ». Trois Data Scientists ont suffi au départ pour développer le PoC (Proof of Concept). Puis, c’est une équipe renforcée dans le domaine du Machine Learning qui a permis de la finaliser. Ce nouvel outil, destiné à la documentation professionnelle (contrats, rapports, documents techniques…), s’est rapidement imposé en interne.

Au moins une dizaine d’autres projets ont déjà vu le jour. Parmi eux, un système d’analyse automatique des contrats, un moteur de recherche, un chatbot, un outil d’analyse des émotions, de l’analyse d’images, de la reconnaissance de caractères.

BNP ne cache pas son ambition, à travers ce Datalab, d’acquérir et développer une forte expérience dans les domaines liés à l’IA. Ce qui lui permettrait de se positionner comme un acteur crédible de ce secteur dans le futur.

💡 Ce qu’il faut retenir

  • Un Datalab est une structure dédiée à l’innovation autour de la Data.
  • Il a pour but de fédérer des ressources humaines et des infrastructures très diverses.
  • Il peut être une structure transversale, ou bien donner lieu à une création plus intégrée dans l’organigramme.
  • Il est adopté par un grand nombre d’entreprises du CAC 40.
  • Il peut être étendu à des domaines connexes, comme l’Intelligence Artificielle.

1. https://dataanalyticspost.com/faut-il-un-datalab-pour-innover-dans-la-data/ 
2. https://octopeek.com/fr/blog-bigdata-datascience/big-data-axa-5-ans-de-dispositifs-strategiques/ 

3. https://www.digital.sncf.com/actualites/la-donnee-nouvelle-etape-de-la-transformation-de-sncf 
4. https://www.digital.sncf.com/actualites/changement-climatique-utiliser-la-data-pour-anticiper-les-impacts-sur-le-reseau 

Laurent Hercé

Laurent Hercé, Expert IT, Cloud computing, SaaS, IoT...

Associé créateur de Marketor, Laurent Hercé évolue dans le monde de l’IT depuis son origine ou presque (1987). Il anime des communautés et des blogs dans les domaines IT, RH, Social Selling, Cloud computing, SaaS, innovation.

Passionné par la vulgarisation, Laurent rédige du contenu sous toutes ses formes, notamment pour les blogs, livres blancs, études et guides…