Télétravail : que dit la loi sur la surveillance des salariés et le contrat de travail ?
Avec la crise sanitaire du Covid-19, la France a connu un essor sans précédent du télétravail en 2020.
Selon l’INSEE, près de 81 % des cadres ont télétravaillé en 2020 contre seulement 45,5% sur la même période en 2019. Il y a fort à parier que cette tendance se poursuive dans les années à venir car les salariés semblent apprécier cette pratique, à condition qu’elle cesse d’être contrainte et généralisée bien sûr.
Ce recours massif au télétravail bouleverse les limites déjà poreuses entre vie privée et vie professionnelle et oblige les sociétés à revoir leurs pratiques managériales et à adapter leur organisation du travail.
Pour les employeurs, la question cruciale du contrôle et de la surveillance des salariés en télétravail se pose depuis plusieurs mois déjà. Faisons le point sur les bonnes pratiques et outils à adopter, notamment la matrice RH et quels réflexes à avoir.
Dans quelle mesure le télétravail impacte le contrat de travail ?
Le cadre juridique du télétravail est assez restreint, ce qui contraste avec la passion normative habituelle française.
Il existe finalement assez peu de dispositions réglementant cette pratique :
- trois articles du Code du travail en tout et pour tout (L. 1222-9 à L. 1222-11),
- un Accord National Interprofessionnel étendu du 19 juillet 2005,
- et une version restylée de cet accord signée le 26 novembre 2020 qui est en cours d’extension.
Certaines conventions collectives prévoient des dispositions spécifiques sur le télétravail mais cela reste généralement assez sommaire, il s’agit principalement d’un affichage de bonnes pratiques incitatives mais non contraignantes.
Les plus grandes sociétés ont pris en main le sujet en négociant des accords d’entreprise et en s’engageant sur des conditions spécifiques pour la mise en place du télétravail. Pour les plus petites sociétés toutefois le télétravail reste une pratique « amiable » qui va devoir se « professionnaliser » à l’avenir.
En l’état du droit actuel, le télétravail peut être mis en place par :
- accord d’entreprise,
- une charte élaborée unilatéralement par l’employeur,
- ou par un simple accord avec le salarié formalisé par tous moyens.
Lorsque le télétravail s’étend au-delà de quelques salariés isolés, le recours à la charte ou à l’accord d’entreprise est recommandé pour en préciser les modalités : conditions de passage en télétravail, critères d’éligibilité des salariés, réversibilité de la mesure, fréquence, prise en charge des frais, outils mis à disposition…
Ce document n’aura pas d’effet immédiat sur les contrats de travail mais servira d’accord-cadre.
Un écrit individuel est ensuite nécessaire pour officialiser l’accord entre le salarié et l’employeur. Un avenant sera le plus souvent signé dans lequel le salarié s’engage à respecter l’accord-cadre.
Cet avenant modifiera à la marge le contrat de travail, affectant essentiellement le lieu de travail. Pour le reste, le télétravail n’altère pas la relation de travail sur le plan juridique. Le lien de subordination entre l’employeur et le salarié n’est pas remis en cause, tout comme le pouvoir de direction de l’employeur qui continue de s’appliquer.
Seule obligation supplémentaire, l’employeur devra organiser un entretien annuel avec le télétravailleur pour évoquer sa charge de travail et ses conditions d’activité.
La réglementation sur le temps de travail des salariés reste identique, les télétravailleurs sont soumis aux temps de repos et durées maximales de travail ainsi qu’aux règles habituelles de décompte des heures supplémentaires. Ils doivent avoir une charge de travail équivalente à celle d’un salarié en présentiel.
Ceci étant dit, ce cadre juridique laisse subsister un certain nombre de questions liées au fait que le salarié travaille depuis son domicile. Les règles de décompte du temps de travail sont plus délicates à mettre en œuvre en dehors des locaux de l’entreprise et l’employeur doit trouver des modalités de contrôle adaptées. De même, il sera plus difficile d’évaluer la charge de travail et de vérifier les temps de repos obligatoires.
Télétravail et surveillance du salarié : opérationnellement, comment organiser le contrôle ?
Même en télétravail, l’employeur continue de contrôler l’exécution du travail et peut sanctionner les manquements des salariés. Toutefois, si le télétravail se prête particulièrement bien à un suivi des données du salarié permettant de quantifier son activité (analyse des temps de connexion, webcams, présence du salarié sur diverses applications partagées…), les droits de l’employeur ne sont pas illimités.
Les droits et obligations de l’employeur
Le contrôle du salarié en télétravail répond aux mêmes exigences que tout dispositif de contrôle mis en place par l’employeur pour les salariés en présentiel (ex : pointeuse, caméra de surveillance…).
L’employeur doit donc respecter les deux principes généraux suivants :
Pas d’atteinte à la vie privée disproportionnée au but recherché.
Les restrictions aux libertés individuelles liées à la mise en place d’un dispositif de contrôle doivent être proportionnelles à l’objectif poursuivi.
Le nombre, l’emplacement, l’orientation, les périodes de fonctionnement et la nature des tâches accomplies par les personnes surveillées sont autant d’indices qui permettent d’apprécier la proportionnalité du dispositif de contrôle mis en place.
La surveillance constante ou continue du salarié en télétravail est jugée excessive. Lorsqu’il existe un moyen alternatif moins intrusif, celui-ci devra être privilégié par l’employeur.
De même, le contrôle doit être limité au poste de travail du salarié et ne pourra pas s’étendre aux zones de pauses ou de repos.
Respect d’une obligation de loyauté et de bonne foi envers les salariés.
Les salariés en télétravail devront être informés, avant leur mise en place, des dispositifs de surveillance de leur activité.
L’information des salariés devra être précise, complète et porter notamment sur :
- l'existence du dispositif,
- les finalités poursuivies,
- l'identité du responsable de traitement,
- la durée de conservation des données,
- le droit d'opposition des salariés pour motif légitime ainsi que leur droit d'accès et de rectification,
- la possibilité d'introduire une réclamation auprès de la Cnil.
A défaut, la responsabilité de l’employeur pourrait être engagée (avec paiement de dommages et intérêts) et les preuves ainsi obtenues seraient inopposables au salarié. Un contrôle de la Cnil pourrait également être diligenté, pouvant aboutir à des sanctions financières.
L’employeur devra enfin consulter le CSE, s’il existe, avant la mise en œuvre du contrôle et se conformer au RGPD dans le cadre du traitement des données issues de la surveillance des salariés.
Les droits et obligations du télétravailleur
Dès lors que le lien de subordination n’est pas affecté par le télétravail, le salarié doit :
- exécuter les tâches demandées par son employeur,
- respecter les horaires de travail fixés,
- et se rendre disponible pour répondre aux sollicitations professionnelles depuis son domicile.
Le temps de travail est identique à celui d’une journée en présentiel. Le télétravailleur n’a pas de droit automatique à la flexibilité des horaires du simple fait qu’il travaille depuis son domicile.
Lorsqu’il existe un accord d’entreprise ou une charte sur le télétravail, ces documents doivent obligatoirement prévoir des plages horaires de contact pendant lesquelles les salariés doivent rester joignables (même en l’absence de ces accords-cadres, il est toujours conseillé de définir de telles plages horaires).
En dehors de ces périodes, le salarié est libre de s’organiser comme il le souhaite, dans le respect des temps de repos et de sa durée habituelle de travail. Il peut donc décider :
- de commencer sa journée plus tôt,
- de la terminer plus tard
- ou de la fractionner tant qu’il reste disponible sur les plages horaires de référence.
Même s’il est usuel qu’une certaine souplesse soit laissée aux salariés lorsqu’ils télétravaillent, l’employeur est en droit de se montrer plus ferme et peut imposer le strict respect des horaires habituels de travail sans flexibilité (notamment en définissant des plages horaires de contact qui coïncident totalement avec les horaires habituels de travail).
Une limite toutefois existe pour les salariés en forfait jours qui doivent conserver une autonomie dans l’organisation de leur travail, sous peine de voir la validité du forfait remise en cause. Pour ces salariés, les plages horaires de contact devront être limitées au strict minimum et répondre aux nécessités d’organisation du service (ex : besoin des équipes de positionner des réunions sur des créneaux communs).
Le salarié en télétravail doit bénéficier d’un droit à la déconnexion dans les mêmes conditions que ses collègues en présentiel. Tout salarié a en effet le droit de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel en dehors du temps de travail.
Que les salariés travaillent dans les locaux de l’entreprise ou depuis leur domicile, l’effectivité de ce droit est difficile à garantir.
La meilleure option consiste à prévoir une plage horaire durant laquelle le salarié n’est pas tenu de répondre aux sollicitations professionnelles (ex : 21h – 7h).
Le salarié en télétravail pourra donc s’organiser librement en dehors des plages horaires de contact et de la plage horaire de déconnexion.
Les moyens de contrôle vertueux des télétravailleurs pour éviter les abus
La créativité des employeurs en matière de surveillance des salariés n’a pas de limite et les juridictions ont dû interdire expressément certaines pratiques, posant ainsi un cadre de référence et limitant les dérives.
Il a ainsi été jugé que le partage permanent d’écran ou le contrôle audio/vidéo continu du salarié en télétravail est prohibé.
Il convient également d’exclure l’utilisation de keyloggers, ces logiciels intelligents qui permettent d’enregistrer toutes les actions accomplies sur un poste informatique. Le traçage informatique qui assure la conservation de toutes les données (ex : documents consultés, sites visités, temps de connexion) suit le même régime.
De même, il n’est pas possible d’exiger une action régulière du salarié en télétravail pour démontrer sa présence à son poste (ex : surveillance du nombre de clics par minute ou prise de photos à intervalles réguliers).
En pratique, pour que le télétravail soit efficace, il doit reposer en grande partie sur un climat de confiance. L’employeur peut donc se contenter d’un système auto-déclaratif dans lequel le salarié consigne ses horaires de travail journaliers.
Pour un suivi plus précis, il existe des systèmes de pointage électronique qui permettent aux salariés nomades d’enregistrer leur temps de travail en ligne.
Pour un télétravail réussi, il est conseillé de privilégier une adaptation des méthodes d’encadrement.
Il est ainsi possible d’opter pour un management par objectifs plutôt que par un strict suivi du temps de présence. Dans ce cas, l’employeur pourra solliciter un compte rendu journalier d’activité afin de suivre la réalisation des objectifs qui seraient fixés au salarié sur une période donnée.
Camille Gourdon est avocate au sein du cabinet ALKEMIST. Elle accompagne au quotidien depuis 7 ans une clientèle d'employeurs dans toutes leurs problématiques de droit du travail. Inscrite au Barreau de Paris, elle assure également des formations en droit du travail en entreprise ou auprès d'étudiants.