Qu'est-ce que la souveraineté numérique ?
Qu’est-ce que la souveraineté numérique et en quoi cette expression cristallise les nouveaux enjeux de pouvoir induits par le numérique ?
La locution «souveraineté numérique» est apparue en France au début des années 2010, à une époque où une prise de conscience du poids des bouleversements économiques et sociétaux provoqués par le développement d’internet a émergé.
De l’affaire Snowden au Cloud Act en passant par la montée en puissance des GAFAM… gouvernements, acteurs économiques et citoyens se retrouvent aujourd’hui confrontés à de nouvelles menaces. Nouvelles menaces qui entraînent des prises de position inédites.
La souveraineté numérique serait-elle, dans ce contexte, un rempart à ériger face au pouvoir de certains acteurs dans la sphère numérique ? Pour répondre à cette question, il convient de fournir une définition précise de ce concept, et de comprendre les enjeux qu’il englobe.
Pour aller plus loin : Découvrez notre dossier complet sur la souveraineté numérique
Définition de la souveraineté numérique
De la souveraineté...
Avant même de définir précisément la souveraineté numérique, revenons sur la notion même de souveraineté.
Selon Wikipédia :
La souveraineté désigne l'exercice du pouvoir sur une zone géographique et sur la population qui l'occupe.
… à la souveraineté numérique
Accolé à la notion de numérique, la souveraineté se traduirait alors par le fait d’asseoir son autorité, en tant qu’État notamment, dans le cyberespace.
Et pour cause le pouvoir, qu’il soit politique ou économique, a changé de visage. À l’heure où les individus sont de plus en plus interconnectés et hyperconnectés, où la globalisation opère aussi grâce aux technologies digitales, le monde virtuel et dématérialisé est devenu le théâtre de nouveaux rapports de force et conflits d’intérêts.
En témoigne l'hyper puissance des GAFAM américains, mais aussi des BATX chinois, qui inquiète et remet en question l’autorité suprême des États sur leurs propres territoires. En effet, ces géants du numérique comptent des milliards d’utilisateurs à travers le globe, milliards d’utilisateurs sur lesquels ils détiennent de précieuses informations… situation inédite dans toute l’histoire de l’Humanité !
Tant et si bien que certains experts évoquent l’idée d’une vieille Europe qui serait devenue une colonie numérique des États-Unis.
Naissance du concept de souveraineté numérique
La souveraineté numérique en France
Face à un tel constat, la notion de souveraineté numérique a rapidement émergé à la fin des années 2000.
En France, Bernard Benhamou et Laurent Sorbier utilisaient déjà cette expression dans le cadre d’un article sur la «Souveraineté et réseaux numériques» en 2006. Mais c’est Pierre Bellanger, président de Skyrock, qui a contribué dès 2008 à répandre au sein de l’Hexagone le concept de souveraineté numérique, dont il a donné la première définition précise :
La souveraineté numérique est la maîtrise de notre présent et de notre destin tels qu'ils se manifestent et s'orientent par l'usage des technologies et des réseaux informatiques.
La souveraineté numérique européenne
Par ailleurs, on identifie souvent l’année 2013 comme une année charnière pour l’indépendance numérique européenne. Le Vieux Continent prenait en effet conscience à ce moment-là des risques liés à la perte de souveraineté, en cherchant à développer des outils propres (systèmes d’exploitation, moteurs de recherche, etc.).
De la souveraineté numérique populaire
Enfin, il est important de noter que le principe de souveraineté englobe également la doctrine de souveraineté populaire. Celle-ci se rapporte au pouvoir détenu par les citoyens afin de faire entendre leurs voix, par le biais notamment du suffrage universel.
C’est pourquoi la souveraineté numérique inclut également l’idée d’autodétermination des individus quant à leur vie numérique, ainsi que leur capacité à exercer leur citoyenneté au travers des réseaux et des technologies de l’information.
Il faut donc garder à l’esprit que la souveraineté numérique ne constitue pas un enjeu uniquement «régalien». Les individus, mais aussi les entreprises des PME aux grands groupes, sont de plus en plus nombreux à s’interroger sur le contrôle de leur vie numérique.
Les multiples enjeux de la souveraineté numérique
Les enjeux entourant le numérique sont nombreux. Et la perte de souveraineté gagne de plus en plus le cœur des préoccupations collectives, comme l’attestent nombre de questionnements contemporains (sur les objets connectés, sur le développement de l’intelligence artificielle, sur la 5G, etc.).
La perte d’indépendance numérique de certains États remet en cause la nature même de leur pouvoir.
Les conflits d’autorité et des luttes d’influence opèrent de plus en plus dans le cyberespace, monde dans lequel la sphère publique perd du terrain en matière de souveraineté face à des entreprises privées qui ont su s’imposer de façon impressionnante. En effet, les superpuissances du numérique sont aujourd’hui en mesure d’appliquer leurs propres lois et normes sociales dans le monde digital (liberté d’expression sur les réseaux sociaux, fiscalité, vente de données personnelles, etc.).
Et ironie du sort, faute d’une force de frappe technologique suffisante, les marchés publics européens s’orientent malgré tout trop souvent vers des entreprises américaines pour leurs besoins en logiciels ou encore en hébergement. Conséquence : les États courent le risque de voir d’autres puissances accéder aux données sensibles des administrations ou à celles des citoyens. Rappelons-nous la désapprobation générale provoquée par l’hébergement du Health Data Hub par Microsoft !
Les enjeux économiques
Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), pour ne citer qu’eux, jouissent actuellement d’une position de domination sur les marchés du numérique. Et cette suprématie commence à poser problème, puisqu’elle laisse peu de place à la concurrence et à la compétitivité.
Ce constat se révèle d’autant plus alarmant à une époque où la data est devenue le nouvel or noir. La maîtriser, c’est espérer se tailler une part du gâteau dans l’écosystème économique mondial actuel… et futur ! Ceci n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’énergie déployée par nos gouvernements pour faire émerger des licornes françaises et européennes (en 2019, sur les 392 licornes comptabilisées, 182 étaient américaines, 94 chinoises et seulement 45 européennes).
Les enjeux de protection des individus
Protection des données, droit à l’oubli sur internet… s’interroger sur la souveraineté numérique, c’est aussi réfléchir aux problématiques liées à la liberté et à la préservation des individus dans le monde numérique.
La question de l’individu se rapporte également à l’idée de souveraineté numérique de l’internaute, ou souveraineté numérique populaire. Celle-ci soulève notamment des interrogations quant au rôle des États dans la reconquête d’indépendance et de contrôle des citoyens au sein des réseaux.
Asseoir sa souveraineté numérique : pistes de réflexion
Face à ces conflits de souveraineté, chaque nation adopte ses propres politiques, parfois autoritaires à l’exemple de la Chine qui a pris le parti du cybercontrôle.
L’Union européenne, et par extension la France, adoptent un positionnement plus souple.
Sensibilisation aux problématiques de perte de souveraineté
La lutte contre la perte de souveraineté numérique passe en premier lieu par une prise de conscience collective des problématiques qu’elle met en lumière. Cette réflexion doit s’opérer des plus hautes strates étatiques aux entreprises européennes, en passant par les citoyens.
C’est dans cet objectif que certaines initiatives ont vu le jour, à l’exemple de la création de l’Institut de la souveraineté numérique, à la baseline évocatrice :
Promouvoir de nouvelles formes de souveraineté pour l’Europe numérique.
Protection des données
La protection et l’hébergement des données reviennent souvent au cœur du débat, ainsi qu’en témoigne la controverse soulevée par le Cloud Act.
En ce sens, les lignes ont déjà commencé à bouger en Europe grâce, par exemple, à la mise en place du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données).
Il faut néanmoins veiller à ne pas tomber dans l’écueil d’un positionnement trop «data centré» lorsque l’on évoque les questions relatives à la souveraineté numérique. Outils, systèmes d’exploitation… l’ensemble des périmètres est à considérer.
Le rôle des acteurs économiques français et européens
Asseoir sa souveraineté numérique implique de réagir avec l’existant, mais également de contribuer à développer un futur numérique fort. C’est pourquoi une des pistes les plus régulièrement mentionnées consiste à recourir à des acteurs technologiques français de poids, ou européens, afin d’éviter l’utilisation de solutions de type GAFAM.
Mais problème : il existe un écart de puissance technologique entre les poids lourds américains et l’Europe. Renforcer la souveraineté numérique du Vieux Continent implique donc qu’États et entreprises avancent main dans la main dans la construction d’une nouvelle réalité numérique plus euro-centrée.
Vers une approche plus libérale et cyberlibertarienne
Enfin, nous avons vu qu’un certain courant de pensée perçoit des limites dans la recherche d’une souveraineté nationale numérique institutionnalisée. Pour lui, l’idéal n’est pas la réappropriation de l’espace numérique par le politique, mais plutôt une approche davantage en accord avec les aspirations de l’internet des débuts : être un terrain de coopération, de communs numériques, un réseau sur lequel une gouvernance mondiale permet d’éviter toute forme de protectionnisme.
En d’autres termes, devons-nous envisager de renforcer le rôle des États dans les batailles qui se jouent sur le terrain du digital ? Une autre réalité, où l’individu devient davantage acteur de sa vie numérique, peut-elle coexister ? La logique de marché doit-elle prévaloir sur les institutions ? Autant de pistes de réflexion régulièrement abordées dans la lutte contre la perte de souveraineté…
Souveraineté numérique : du fantasme à la réalité
Au final, la souveraineté numérique se définit comme une aspiration plus qu’une réalité.
Aujourd’hui la France, et plus largement l’Europe, ne sont pas souveraines dans le cyberespace. Mais la prise de conscience collective des enjeux laisse présager davantage de réactivité de la part des acteurs politiques et économiques pour modeler de manière plus équitable l’internet de demain.
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